Presse. Retour sur notre concert Une Offrande Musicale
Le charme des concerts du soir est unique. Lors des premières notes, il fait encore jour, le soleil n’est pas couché. À la fin du concert, la nuit est complète. Ce passage est un véritable délice en si agréable compagnie. La variété de la programmation, elle semble encore plus grande cette année ; elle ménage des surprises aux mélomanes les plus aguerris. Ainsi qui connait la musique savante de Nino Rota, musicien si indissociable de la musique de films dont tous ceux de Fellini ? Son Trio pour clarinette, violoncelle et piano a une fraicheur d’inspiration, une veine mélodique et une saveur harmonique tout à fait délectables. Sa Piccola offerta mucicale pleine d’esprit est un délice d’humour et d’invention en hommage décalé à Bach. Et lorsque très malicieusement la flûte d’Emmanuel Pahud relance le tempo par un thème primesautier le sourire intérieur s’épanouit en chacun de nous et vient aux lèvres. Et cette superbe association de musiciens tous talentueux et complices est un régal constant!
Les frères Meyer, Paul à la clarinette et François au hautbois sont de véritables enchanteurs. Gilbert Audin au basson est craquant de musicalité et de virtuosité. Coté humour, Benoit de Barsony au cor n’est pas en reste. Les femmes compositeurs sont à l’honneur tout particulièrement cette année. Ainsi Rebecca Clarke et sa Sonate pour alto et clarinette. Déjà le choix de ces deux instruments est musicalement très subtil. Le Prélude, allegro et pastorale est une très beau moment d’échange et de partage, dans une sorte de gémellité d’âme entre ces deux instruments, si proches en couleurs nostalgiques. Les qualités de son de Paul Meyer sont bien connues ; la beauté de timbre et la subtilité des phrasés de Joaquin Riquelme Garcia à l’alto sont sur le même plan. Quelle œuvre intéressante et émouvante ! Quand on sait que ces qualités de compositeur de Rebecca Clarke ont tellement été niées au point d’avoir écrit dans un journal que Rebecca Clarke n’existait tout simplement pas, on reste sans voix devant les effets de la jalousie et de la méchanceté des hommes en ces temps ! Bravo madame et Grand Merci pour cette superbe découverte !
Si Don Juan de Mozart n’a pas besoin de présentation, l’arrangement qu’en a fait un certain Joseph Triebensee, pour plusieurs extraits très bien choisis, est une vraie découverte. L’intelligence des arrangements, la perspicacité des choix, la place chantante centrale donnée au premier hautbois nous mettent sur la voie. Il s’agit d’un ami de Mozart celui qui était son hautboïste pour son ultime opéra La Flûte enchantée… Il n’y a pas de mystère, l’esprit du divin Mozart, à l’humour si particulier est dans ces pages plus giocoso que dramatiques, même si l’ouverture de Don Juan fait grand effet. C’est donc la jubilation qui termine la première parte du concert avec une impression de facilité et de simplicité.
En deuxième partie, le Sextuor de Mozart en forme de sérénade pour 2 clarinettes, 2 bassons et 2 cors nous ramène en paysages connus. La parfaite écoute et l’intelligence du mariage des timbres fonctionne à merveille et l’équilibre entre tous est d’ une parfaite musicalité. Nous découvrons la forte présence des bassons de Gilbert Audin et Marie Boichard comme la grande délicatesse des deux cors grâce à David Guerrier et Benoit de Barsony. Tandis que les deux clarinettes se complètent : Paul Meyer souverain enchanteur, secondé par le jeune Carlos Fereirra dont le potentiel se devine. Pour terminer le concert c’est le jeune et talentueux Trio Karénine qui prend place sur l’estrade. L’enregistrement qu’ils ont réalisé du trio de Ravel était déjà de très bon augure, mais il faut être devant eux pour percevoir toute cette écoute, cette attention intime à l’autre, cette sensibilité subtile qui les unit. L’émotion délicate qui parcourt le jeu du violoncelliste est au bord de la rupture ; la sonorité est pleine et belle mais peut aller vers une nuance infinitésimale. Le violon est pur, dans des zones célestes. Et le piano socle inébranlable, puissance rythmique tellurique. Des qualités complémentaires qui permettent une interprétation remarquable et inoubliable du Trio de Ravel. Tout particulièrement la manière de construire et dégraisser la Passacaille nous permet de juger de la puissance expressive de chaque musicien lorsqu’il prend possession du thème, puis l’amplitude sidérante qui naît de leur union avant de retrouver la pureté noire du piano dans ses sonorités graves pour finir ce mouvement lent. C’est le final qui revient à la force de vie élémentaire. Vent, eau, feu, terre sont évoqués par la richesse des sonorités mêlées avec une variété incroyable. Ravel a inventé une sonorité à trois, mouvante comme la vie. Le Trio Karénine parvient à cette alchimie rare. Il a bien de l’héroïne éponyme cette puissance expressive et la vie même chevillée au corps.
Une très belle soirée qui nous conduit avec art et délicatesse vers l’un des sommets de la musique de chambre dans une interprétation de haut vol.
_ Classique News