Jour 10
Au 19ème siècle, la musique ne se découvre et ne se goûte qu’en direct. Impossible de faire autrement, bien entendu, puisque tous les autres moyens de diffusion qui permettent aujourd’hui d’accompagner notre vie de musique quand et où nous le désirons n’existent tout simplement pas. Dans ce contexte, pour un individu qui habite une petite bourgade de province, par exemple, la probabilité de connaître cette formidable sensation procurée par la découverte d’un opéra de Verdi ou d’une symphonie de Mahler est quasiment nulle. La diffusion à large échelle de la musique symphonique pose donc un réel problème, d’autant que la demande est forte puisque l’art musical a largement pénétré les différentes couches de la « bonne société » au point de participer pleinement à l’éducation de la jeunesse et de constituer un must de la vie des salons de la bourgeoisie éclairée.
Franz Liszt a partiellement résolu ce problème en créant le principe de la transcription. Les œuvres orchestrales se voient ainsi adaptées au clavier, ce qui permet une plus large diffusion de ces opus sous les doigts des pianistes qui possèdent le bagage technique suffisant. Il existe d’autres formules d’adaptation et de réduction de la musique d’orchestre, qui participent à ce mouvement de démocratisation d’un répertoire a priori réservé à un nombre très limité de grandes salles de concert. Ces « versions de chambre » réclament de la part des compositeurs ou arrangeurs un talent consommé dans l’art de conserver en quelque sorte la substantifique moelle des œuvres originales avec des moyens musicaux pourtant largement réduits. Le résultat est souvent étonnant de pertinence et d’intelligence. Car en effet, il n’est guère évident au départ de songer qu’il est possible de jouer une œuvre telle que la Quatrième Symphonie de Mahler avec un effectif réduit à une douzaine de musiciens sans mettre en péril sa substance même. Ce type d’œuvre réclame a priori une palette de couleurs et de nuances très large ! Et bien, c’est possible, et ce concert final vous en apportera la preuve, après vous avoir servi en guise d’apéritif le seul opus de Gustav Mahler qui n’appartient ni au répertoire symphonique ni au domaine du lied, à savoir un Quatuor pour cordes et piano, œuvre de jeunesse écrite alors que le jeune homme est étudiant au Conservatoire de Vienne. Non publiée de son vivant, l’œuvre a été retrouvée bien plus tard dans ses archives par Alma Mahler. Pour l’anecdote, précisons qu’elle a été récemment utilisée par Martin Scorsese pour la bande originale de son film Shutter Island. Aux côtés de Gustav Mahler nous retrouvons ce soir Ludwig Spohr, brillant chef d’orchestre et authentique virtuose du violon, qui a laissé nombre de compositions qui embrassent un large éventail de genres, de l’opéra au concerto, en passant par la musique de chambre, les symphonies, le lied ou encore les œuvres sacrées. Ce legs à la postérité est aujourd’hui assez largement méconnu, sauf en Angleterre, où Spohr jouit depuis longtemps d’une réputation assez comparable à celle de Mendelssohn, un compositeur avec qui il possède d’ailleurs de réelles affinités de style et d’esthétique. La plume légère et éloquente du compositeur allemand évoque au passage Weber et même Mozart (dans le mouvement lent), offrant au passage au piano un rôle prépondérant… et techniquement difficile si on en croit les commentaires de Frédéric Chopin lui-même, qui a inscrit cet opus dans son répertoire, au même titre que d’autres grands pianistes de l’époque tels Moscheles et Liszt. La critique en parle alors comme de la « plus belle œuvre de Mr Spohr à ce jour », et même de « l’une des plus belles œuvres instrumentales de notre époque. » Voilà qui est appétissant ! - Jean-Marie Marchal-
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23. Elodie soulard
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24. Mahler 4e Symphonie
Louis Spohr (1784-1859) Quintette Op. 52
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