Jour 6

Cette journée est entièrement consacrée au dialogue intime et mutuellement enrichissant qui se développe au tournant des 18ème et 19ème siècle entre cordes, vents et piano dans le domaine de la musique de chambre. C’est que l’époque est marquée par d’indéniables progrès dans la facture des instruments. Celle du pianoforte, bien sûr, qui de génération en génération progresse sur la voie du futur piano moderne tel que nous le connaissons encore aujourd’hui. Celle des instruments à vent également, dont la solidité, la justesse et la souplesse d’utilisation font d’énormes progrès, notamment via l’adjonction d’un système complet et fiable de clefs. Celle des cordes enfin qui, sans remettre en cause fondamentalement l’architecture des instruments, la fait évoluer dans le sens d’une plus grande expressivité et d’une sonorité renforcée.

Cette évolution ouvre incontestablement de nouvelles perspectives pour les compositeurs, qui peuvent plus aisément laisser libre cours à leur imagination. Elle les encourage aussi très certainement à considérer différemment ce type de répertoire, qui au début de la période classique relevait encore du pur divertissement, pour le transformer progressivement en d’authentiques œuvres d’art ambitieuses auxquelles ils réservent le meilleur de leur imagination et de leur talent.

Certaines œuvres au programme aujourd’hui font écho à la tradition qui veut alors que la musique de chambre est d’abord le domaine des amateurs éclairés qui désirent passer un bon moment en toute décontraction, en compagnie d’un répertoire agréable à l’oreille, qui cache le sérieux de sa conception derrière le masque du sourire, du clin d’œil, du trait d’esprit, sur le ton de la conversation badine. Les Variations pour flûte et piano de Beethoven, bien que composées assez tardivement dans sa carrière (entre 1818 et 1820) appartiennent à ce que l’on peut qualifier la « musique de salon » intelligente et de belle facture, tout comme la Sérénade opus 2 (1795), sorte de divertimento jovial. Par contre, la Sonate n°4 pour violoncelle et piano, ainsi que le célèbre Trio l’Archiduc sont d’un tout autre tonneau. Leur présence au sein du même menu musical permet en effet d’évaluer tout le chemin parcouru, qui conduit à des œuvres solidement charpentée au sein desquelles le remarquable talent de Beethoven pour développer presqu’à l’infini les idées musicales donne sa pleine mesure. Le compositeur est ici au sommet de son art, maître de la forme, sûr de son inspiration et des moyens techniques qu’il met en œuvre pour la traduire idéalement en musique. Comme le dit fort justement Claude Rostand à propos du Trio opus 97, « son inspiration y est littéralement sublime, et sa fantaisie inventive aux points de vue thématique, tonal et harmonique y est digne de ses plus grands chefs-d’œuvre ». Qu’ajouter?

Il est certain que Beethoven a bénéficié du travail de Haydn et de Mozart, ses illustres prédécesseurs ayant montré la voie qui mène dans ce répertoire du divertissement au chef-d’œuvre. Mozart est ici représenté par son Quatuor pour flûte et cordes K 285, œuvre de commande que le compositeur a écrite pour un « Hollandais des Indes » (!) à l’instigation de son ami Johann Baptist Wendling, flûtiste virtuose de l’orchestre de Mannheim. Comme l’a dit fort justement Jean Massin, « il convient aux tendances d’un public restreint de connaisseurs, qui veulent une musique plus fine que la sérénade ou le divertimento normal, mais sans quitter la zone du plaisir de bonne compagnie ».

Compositeur d’origine autrichienne, élève de Joseph Haydn, naturalisé Français, Ignace Joseph Pleyel a énormément composé jusque 1805 (son catalogue comporte notamment 41 symphonies, 15 concertos et symphonies concertantes, 2 opéras et 85 quatuors,…) avant de se tourner vers les métiers d’éditeur de musique et de facteur de pianos. C’est cette dernière activité qui fera sa renommée! Ses trios pour clarinettes et basson témoignent de l’engouement qui se développe alors pour ce type d’instrument dont la facture progresse considérablement. Pleyel se montre ici un peu nostalgique de la musique de son maître Haydn, en produisant une musique qui est certes de facture classique mais propose un très intéressant jeu de dialogues et d’imitation au sein duquel chaque protagoniste fait agréablement valoir ses arguments. - Jean-Marie Marchal