Jour 5
Rapprocher Beethoven de Haydn et de Mozart au sein d’un même programme paraîtra assurément logique à tout auditeur éclairé. Papa Haydn est en effet considéré comme le véritable créateur de la première école de Vienne, établissant au passage des modèles formels qui seront adoptés par toute l’Europe classique. Cela vaut notamment pour la musique de chambre, les trios et quatuors passant sous la plume du génial Joseph du statut de simple divertissement mondain à celui d’œuvre d’art au plein sens du terme. Mozart sait ce qu’il doit à son illustre aîné, dont les modèles restent gravés dans son esprit. C’est presque en hommage au vieux maître, avec lequel il s’entendait d’ailleurs à merveille, que Wolfgang Amadeus a pratiqué les mêmes genres en y mettant le meilleur de son inspiration. De ce point de vue, le Quintette en sol mineur K 516 est une pure démonstration du génie mozartien, intense, rayonnant, éloquent, particulièrement dense et inspiré. Cet opus constitue de toute évidence l’un des sommets de son œuvre chambriste. Le jeune Beethoven ne peut bien évidemment que s’inscrire dans cette prestigieuse lignée en lui donnant sa propre énergie. Autant le Quatuor opus 16 pour piano, violon, alto et violoncelle, adaptation d’une œuvre de jeunesse datant de 1796 (la version originale sera au programme mercredi prochain), présente une totale concordance formelle et stylistique avec le modèle classique mozartien, autant les Sonates pour violoncelle et piano témoignent de l’évolution esthétique et technique de Beethoven, depuis les deux premières sonates de 1796, encore relativement sages mais déjà pleines de fantaisie, jusqu’aux œuvres de la maturité (1807 et 1815), qui démontrent à quel point le compositeur s’est alors détaché des formules mélodiques et harmoniques traditionnelles. La présence d’Alexander von Zemlinsky au sein du programme peut a priori paraître surprenante. Il n’en est rien, tout d’abord (et en forme de clin d’œil…) parce qu’en tant que professeur de Schoenberg on peut l’associer à… la seconde école de Vienne, et ensuite parce que son Quatuor opus 15, malgré son esthétique postromantique, illustre tout son attachement au modèle beethovénien. C’est en effet le Quatuor n°14 opus 131 de ce dernier qui sert de modèle à Zemlinsky, qui y voit un modèle idéal d’intégration de la grande forme en un mouvement unique. C’est ainsi que, de manière originale, chaque mouvement est précédé de sections homologues qui reposent toutes sur la même formule thématique et agissent de la sorte comme une sorte de refrain. A partir de cette base formelle originale, Zemlinsky bâtit une œuvre complexe et puissamment expressive, développant de vastes architectures dans le cadre de la tonalité élargie avec des moyens sonores de type symphonique. Injustement méconnu, ce monument de maîtrise formelle est pourtant l’un des derniers joyaux du postromantisme germanique. - Jean-Marie Marchal
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12. Salon viennois
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