Jour 8

Voici un intéressant jeu de miroirs entre deux tournants de siècles, qui fait dialoguer le jeune Beethoven et l’expérimenté Max Reger sous les yeux de Ferdinand Thienot, la surprise de la soirée.

Désireux de se faire un nom à Vienne en tant que compositeur, alors qu’il est alors essentiellement connu comme pianiste virtuose, le Beethoven des années 1790 doit également se soucier de ses moyens de subsistance. Dès le départ, en effet, le jeune artiste fait preuve d’un solide caractère et d’une farouche volonté d’indépendance qui lui font rejeter à l’avance toute idée d’accepter de se mettre au service d’un quelconque employeur. Non, il ne sera pas maître de chapelle ou compositeur de la cour, comme quasiment tous ses collègues des générations précédentes. Belle démonstration de son intransigeance de caractère, certes, mais encore faut-il gagner sa vie. Comme virtuose du clavier, bien entendu, mais quoi d’autre ? L’extraordinaire vitalité artistique de Vienne, au sein de laquelle tous les salons de la noblesse et de la bourgeoisie pratiquent assidument la musique, va lui offrir une opportunité des plus concrètes. Il s’agit donc de composer (le plus souvent sur commande) toute une série de pièces élégamment troussées à destination de tous ces cercles d’amateurs éclairés. Le succès y sera assuré dès lors que l’alchimie se crée entre imagination parfois un rien débridée, rigueur classique de construction et capacité à flatter l’oreille de l’auditeur. C’est notamment à travers ce type de production, qui appartient de manière variée au domaine de la musique de chambre, que Beethoven va affermir son style et sa personnalité à partir des modèles classiques. Les deux Trios mis à l’affiche ce soir s’inscrivent totalement dans ce contexte.

Un bon siècle plus tard, Reger rend quelque part hommage à cette musique qui sait admirablement combiner le sérieux de la conception avec le plaisir de l’écoute. En reprenant le titre de Sérénade, il indique sa volonté de s’inscrire dans un jeu de transposition de cet idéal classique en conservant sa liberté de ton, son élégance et sa légèreté tout en l’adaptant à un contexte harmonique qui prend en compte les acquis du romantisme. Peu connu en France, où une réputation de compositeur rigoureux et austère l’a malheureusement toujours précédé, Reger se montre ici sous un jour radicalement différent. Jamais sans doute il n’a écrit de musique plus immédiatement séduisante et gracieuse, d’une perfection quasi mozartienne.

Ferdinand Thieriot lui aussi aime les choses bien faites et les ambiances simples et naturelles. En tant qu’ami de Brahms et élève de Rheinberger, ce violoncelliste et compositeur allemand s’inscrit logiquement dans la lignée des romantiques-classiques, qui aiment habiller d’une musique délicatement expressive les formes héritées du classicisme. Principalement actif à Hambourg, Leipzig et Graz, notre homme a occupé diverses fonctions officielles et s’est distingué en tant qu’excellent chambriste. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans son catalogue par ailleurs très fourni quelques opus destiné à des formations très diverses, tel l’Octuor opus 62, qui réunit trois instruments à vent, un quatuor à cordes et une contrebasse. Assez développée, l’œuvre adopte une structure en arche, culminant dans son troisième mouvement, seule parenthèse plus sérieuse, voire sombre, dans un propos par ailleurs d’humeur légère. D’expression noble, l’écriture tend souvent à opposer cordes et vents. Elle oscille agréablement entre Schubert et Brahms, et traduit davantage le souci de passer un bon moment en musique que de marquer les esprits par une originalité échevelée. - Jean-Marie Marchal