Jour 3

Belle journée que celle-ci, qui voit se succéder trois récitals consacrés à autant d’instruments différents. L’occasion rêvée de se rincer l’oreille au gré de sonorités, de couleurs, d’esthétiques différentes.

Au moment où le Beethoven de la maturité fait progressivement éclater les conventions et les formes classiques pour donner la pleine mesure de son tempérament exceptionnel, il se tourne paradoxalement vers les maîtres du passé, au premier rang desquels Johann Sebastian Bach, pour nourrir son imagination de techniques éprouvées. L’exemple le plus marquant de ce « retour à… » est bien entendu la fugue, qui n’est plus guère utilisée alors que dans le répertoire sacré et qu’il va réintroduire dans la musique pour piano, la musique de chambre et même la musique symphonique. Il y a également les variations, qui représentent alors un genre de grande tradition, qui remonte jusqu’aux virginalistes anglais de la fin du 16ème siècle. Parmi les œuvres baroques les plus abouties dans le domaine de la variation figurent les Variations Goldberg de Bach. Ce cycle imposant, qui constitue l’apogée de l’apport de Bach à la littérature pour clavecin, appartient à la dernière période productrice du compositeur, alors que ce dernier est plutôt considéré comme « passé de mode ». En effet, l’atmosphère change dès les années 1730, et la musique que le public apprécie alors se veut plus simple, plus immédiatement séduisante et divertissante, adoptant au passage la charmante appellation de « style galant ». Bach n’en a cure, et c’est le moment qu’il choisit pour porter son art à incandescence, de sorte à produire un immense testament musical digne de l’excellence de sa pensée créatrice. Aux côtés de l’Offrande Musicale, de l’Art de la Fugue ou encore de la Messe en si mineur, les Variations Goldberg font donc partie de la sélection ultime des œuvres que Bach espérait léguer à la postérité. Il y fait triompher une technique contrapuntique inégalable, au sein d’un fantastique kaléidoscope de formes et d’harmonies, avec un constant souci de perfection formelle et de précision du geste, à l’image d’un artisan arrivé à la fois au sommet de son art et au seuil de sa vie. - Jean-Marie Marchal