Jour 4

D’un bout à l’autre de cette journée, nous serons plongés dans de subtils jeux de miroirs qui prouvent que contrastes esthétiques peuvent rimer avec affinités électives.

Ainsi par exemple, Felix Mendelssohn est probablement le compositeur romantique qui est aujourd’hui le plus injustement sous-estimé. Il en est probablement en partie responsable, lui qui en pleine période de remise en question des modèles classiques n’a cessé de revendiquer un respect des grands maîtres du passé, de Bach à Beethoven. Et puis, son allure de gendre idéal, beau comme un cœur, naturellement doué pour tout ce qu’il entreprend, fils à papa d’un riche banquier, ne correspond pas vraiment à l’image que l’on s’est progressivement fait de l’artiste romantique, génial mais tourmenté, voire maudit. Alors, trop lisse la musique de Mendelssohn ? Mais point du tout ! Elle offre plutôt un autre regard sur le romantisme, celui qui, tout en exprimant une grande générosité de sentiment, ne se départit jamais d’un constant souci de précision et de perfection formelle. Une démarche de type artisanal au sens noble du terme que l’on retrouve aussi chez Ligeti, apôtre d’une approche de la musique très maîtrisée sur le plan formel et intellectuel, mais jamais asséchante, toujours en connexion avec une émotion sincère, presque à fleur de peau. Par-delà les époques et les esthétiques, ce dialogue entre maîtres, romantique et contemporain, sera à coup sûr un grand moment de musique !

En termes de qualité de facture et de richesse émotionnelle, le Quatuor n°15 opus 132 de Beethoven ne cède évidemment en rien en regard des précédents. Il apporte en effet la preuve éclatante du génie beethovénien, de sa rare capacité à constamment se réinventer ! Il constitue un bel exemple d’une créativité qui jamais ne s’essouffle par sa force, son énergie vitale, son extraordinaire habileté à raconter une histoire en musique avec une apparente spontanéité alors même que tout le discours se développe avec une maîtrise technique et formelle absolument parfaite.

Il voisine ici avec deux pages françaises assurément contrastées. Le Ravel de Ma mère l’Oye se veut en effet à l’image de la simplicité et de la spontanéité des jeunes têtes blondes, avec au passage un clin d’œil appuyé aux contes de fées du 18ème siècle français, alors que le Quatuor pour la fin des temps d’Olivier Messiaen évolue dans un registre très différent, marqué par un contexte historique des plus précis et des plus tragiques. Composée et créée dans un camp de prisonniers lors de la Seconde Guerre Mondiale, l’œuvre évolue certes dans un contexte des plus dramatiques, mais elle parvient à transcender les affres de l’époque pour exprimer un message d’espoir d’une grande concentration humaniste et mystique.

En guise d’apéritif à ce menu musical roboratif, le programme de la journée vous propose une agréable plongée dans le monde de la musique baroque, en compagnie de Marin Marais, jalon essentiel entre Lully et Rameau dans l’histoire de la musique française, et dont l’œuvre est fort heureusement sortie de l’oubli grâce au superbe film Tous les matins du monde d’Alain Corneau. Ce récital illustre une tradition bien établie en Europe au 17ème siècle, à savoir celle qui consiste à élaborer toute une série de variations pour divers instruments à partir de thèmes célèbres et de leur grille harmonique, afin de produire des œuvres agréables à l’oreille qui au passage exploitent au mieux toute la virtuosité des meilleurs interprètes. De ce point de vue, le thème de La Follia, ou des Folies d’Espagne, est l’un des plus connus à l’époque, suscitant maintes déclinaisons chez de nombreux compositeurs parmi lesquels Marin Marais, donc, ou encore Arcangelo Corelli. - Jean-Marie Marchal